La peur de l'inconnu
Je suis outrée, quoique pas tellement surprise, par l'ampleur de la haine que l'on voit déferler, telle un tsunami gigantesque, sur les réseaux sociaux, dans les commentaires aux dessins, aux photos, aux vidéos, aux articles sur les réfugiés de guerre et les migrants en général.
Bien entendu, je devrais être habituée à ce genre de choses, ayant réceptionné une quantité phénoménale de PPS qui - souvent d'une façon voulue humoristique - essayent de me convaincre que les autres, peu importe lesquels d'ailleurs, sont moins bons, moins intelligents, moins beaux, etc, que le groupe auquel l'expéditeur et moi-même sommes sensés appartenir. J'en ai sans doute fait suivre quelques uns parmi les moins méchants, les plus drôles aussi, mais je ne le fais plus depuis longtemps. Je ne veux pas réveiller la peur de l'autre, présente en chacun de nous, et ces PPS ne font que banaliser cette peur qui engendrera la haine de celui qui est sensé être moins bien que nous.
Il est certain que l'homme a toujours (au moins aussi loin que je peux remonter le temps) eu peur de celui qu'il ne connaissait pas. Encore aujourd'hui, alors qu'on aurait pu espérer qu'Internet nous aurait rapprochés, malgré nos différences, grandes ou petites, l'homme a tendance à se méfier de celui qu'il croit différent. (Parfois le fait que la personne habite l'appartement voisin suffit pour nous inciter à de la méfiance, voir plus, si pas d'affinités.)
Or, être ami avec quelqu'un sur les réseaux sociaux, ne veut pas dire que nous sommes prêts à accueillir cet ami chez nous, surtout si l'ami en question a des habitudes qui ne sont pas les nôtres. Si en plus, notre ami est en difficulté, avec le risque que cela implique de devoir le garder chez nous pour une longue période, alors on le supprime si le fait de l'ignorer ne suffit pas. (Comme aurait dit une femme politique suédoise en parlant des réfugiés qui voulaient rallier la Suède : "N'y a-t-il personne pour se mettre sur le pont d'Öresund avec une mitrailleuse?")
En période de vacances estivales, nous partageons des dessins et des vidéos d'animaux abandonnés à leur triste sort; nous serions presque prêts à pleurer à chaudes larmes devant de tels agissements, surtout si personne ne nous demande rien d'autre, tel que participer au financement de notre SPA locale. Nous avons d'ailleurs raison de nous émouvoir, car nos animaux de compagnie méritent d'être bien traités, bien nourris au lieu d'être laissés abandonnés lorsque nous avons autre chose à faire, et qu'ils commencent à nous brider dans nos envies.
Mais les mêmes personnes (non, pas vous qui êtes en train de me lire, les autres) qui s'extasient ainsi devant les chats et les chiens dont personne ne veut, ont pour les réfugiés de guerre, des hommes, des femmes, des enfants, une réaction bizarrement différent. Si le pays de ces personnes-là est en guerre, s'ils souffrent - surtout au point de vouloir quitter leur maison, leur village, leur ville, et leur pays - nous nous mettons à avoir peur d'eux à tel point que nous préférons fermer les yeux sur les cruautés qu'ils subissent, pour ne voir en eux que des envahisseurs, des personnes qui vont venir empiéter sur nos plates-bandes, sur nos privilèges, que nous n'avons surtout pas envie de partager. Nous sommes des égoïstes, ce qui est sans doute normal, surtout dans des situations difficiles.
Il en a toujours été ainsi. Personne ne peut prétendre que les migrations se sont toujours bien passées. Ceux qui ont été forcés de partir de chez eux, de leur foyer, pour s'installer ailleurs, forcés pour cause de guerre, de famine, de misère économique, n'ont jamais été accueillis autrement que par de la méfiance de la part de la population locale. C'est ainsi que se sont formés des quartiers qui perdurent encore aujourd'hui, et où la population devenue à son tour locale a, en grande majorité, des racines communes, même si elle est là depuis des générations. Il est normal qu'on veuille, surtout au départ, se retrouver avec des gens qui ont les mêmes habitudes que vous, notamment lorsqu'on a fui son pays pour survivre. Il est normal de vouloir en parler avec des gens qui le connaissent et qui l'aiment comme vous. La similitude ressemble, soulage aussi. Il faut bien pouvoir parler de ses problèmes, de la famille qu'on a laissée au pays, avec quelqu'un qui sait de quoi on parle, quelqu'un qui partage les mêmes souvenirs, les mêmes coutumes, le même point de vue.
Même ceux qui migrent parce qu'ils ont envie de changer, de voir d'autres pays, ont souvent tendance à rechercher la compagnie de leurs compatriotes. Le besoin d'appartenir à un groupe est fort chez la plupart de nous. Les contacts sont plus faciles quand on parle la même langue, quand on a les mêmes racines, donc à peu près les mêmes goûts.
J'aurais pourtant aimé que l'éducation, et aussi l'information que nous pouvons difficilement éviter aujourd'hui, auraient aidé à faire de nous des êtres plus ouverts, plus compréhensifs envers les autres, mais apparemment il est encore aujourd'hui plus facile de haïr son voisin que de l'accepter, voir de l'aimer. Nous aurions pu nous servir des réseaux sociaux pour construire des ponts entre les gens, mais l'égoïsme et les peurs de certains sont toujours là pour participer à leur destruction.
Dommage.
***
"Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis", (Citadelle)
"Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu". (Terre des Hommes)
Antoine de Saint Exupéry
Dommage.
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"Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis", (Citadelle)
"Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu". (Terre des Hommes)
Antoine de Saint Exupéry