mercredi 28 janvier 2015

Moumoune

Printemps 1996 - 28/1/2015

lundi 12 janvier 2015

Ma liberté d'expression

En 1956, la Finlande se choisit un nouveau président,  beaucoup plus jeune que celui qu'il remplaçait.

Du haut de mes quatre ans, je le trouvais grand et beau quand je le vis pour la première fois, et aussitôt les présentations faites je fis son portrait, tellement ressemblant que mes parents le gardèrent précieusement. Je le retrouvai longtemps après, caché dans un livre.

Je n'étais pas seule à tirer le portait du nouveau président de la république. Une personne beaucoup plus connue que moi, Kari Suomalainen, le fit également, mais son dessin à lui fut publié dans le quotidien Helsingin Sanomat, dont il était l'illustrateur politique depuis 1950. Ce fut un scandale pour certains.

C'était en effet la première fois qu'on publiait un dessin humoristique du président de la république.  Le dessin n'était pas méchant; il représentait Kari lui-même, devant un dessin du président, pleurant parce qu'il n'avait pas le droit de le dessiner.

Cette publication fut le début d'une longue série de dessins du président, bien que Kari n'épargna aucun autre homme politique, ni aucun événement important, s'attirant parfois les foudres venues de plus haut, lorsque ses dessins dépassaient les limites du moment.

Les caricatures politiques entrèrent de plus en plus féroces dans les mœurs, et Kari qui signait ses dessins de son prénom seul, devint très populaire jusqu'au jour, des années plus tard, où il y eut divergence d'opinion sur des dessins que certains trouvaient racistes, leur sujet étant des immigrés somaliens. 

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Les choses restaient longtemps rigides. Il fallait monter du respect. Je me rappelle avoir discuté un jour avec Madame l'épouse du président, et de trouver un peu pompeux sa façon de parler de son mari. Elle me dit en effet, "mon mari, Monsieur le Président", comme si je n'avais pas su qui elle était... 

Je ne me rappelle plus quel âge j'avais, je devais être dans une de mes périodes difficiles, un jour d'été, en bavardant avec un des gardes de corps du sujet préféré de Kari, je changeais délibérément deux voyelles de son nom, l'appelant ainsi "le petit merdeux". A mon avis cela devait être juste un peu rigolo, mais non, le garde de corps ne l'apprécia pas du tout et me le fit aussitôt savoir. Heureusement il ne dit pas un mot de ce lèse-majesté à mes parents...

Aujourd'hui, on appelle le président de la république comme on veut, cela n'émeut plus personne - ou presque, car quelque part cela me chagrine, car au moins la fonction devrait être respectée (y compris par l'intéressé).

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Quand, beaucoup plus tard, des journaux publièrent leurs dessins du prophète, je savais , car j'avais déjà un peu plus de quatre ou quatorze ans, que ces dessins pouvaient blesser des musulmans, tout comme d'autres "œuvres d'art" ont pu blesser des catholiques, je pense notamment à Piss Christ. 

Pendant ce laps de temps, une soixantaine d'années, on nous a appris qu'il était mal pour les finlandais de manger des "baisers de nègre" de chez Brunberg, et les français n'ont plus le droit d'acheter des "têtes de nègre" à leur boulangerie/pâtisserie. La publicité pour Banania est devenue de mauvais goût, tout comme celle pour la réglisse Hellas (ou Fazer, je ne me rappelle plus), tout simplement parce qu'y figurait le dessin représentant un homme des "colonies".

Les blagues sur les juifs sont proscrits, et avant de raconter ou de rire d'une histoire drôle, il vaut mieux se demander si elle ne heurte pas la sensibilité de tel ou tel groupe.

Il n'y a pas longtemps un député a été sanctionné pour avoir dit "Madame le Président" au lieu de "Madame la Présidente".

Les exemples sont nombreux et contradictoires.

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J'avoue donc me perdre un peu dans les dédales de la liberté d'expression. Où sont les bornes des limites? Pourquoi aurait-on le droit de blasphémer (le blasphème est interdit dans certains pays, dont la Finlande) mais pas le droit de dessiner un noir sur un paquet de réglisse? Pourquoi peut-on rire d'une histoire blonde, mais pas d'une blague sur les juifs, sous peine de risquer de se trouver devant les tribunaux? Pourquoi cette différence en fonction du cible dont on se moque/parle en riant gentiment?

Il n'y a qu'une chose que je sais: on n'a pas le droit de tuer celui qui a (peut-être) abusé de son droit de s'exprimer librement. J'espère donc que personne ne me tuera pour ces quelques lignes - je n'aurai  pas non plus recours à ma kalachnikov si vous n'êtes pas de mon avis, préférant depuis longtemps le stylo moderne, le clavier de mon PC, et essayant, en même temps, de peser mes mots pour rester dans mes propres limites.